Selon le rapport de l’ONU, le niveau de concentration de CO2 dans l’atmosphère bat tous les records alors que l’évolution de la courbe des émissions de gaz à effet de serre aurait dû s’inverser en 2015 et diminuer de 3% par an. Voilà de quoi clouer au pilori l’enthousiasme béat que d’aucuns affichaient à la clôture des accords de Paris censés ouvrir une ère nouvelle dans la lutte contre le réchauffement climatique.
L’exemple le plus emblématique de notre incapacité à dépasser le stade de la rhétorique et des bonnes intentions pourrait bien être celui du transport aérien. Crédité de 3% des émissions mondiales de GES, le secteur du transport aérien connaît une croissance moyenne de deux fois et demie supérieure à celle du PIB mondial depuis plus de soixante ans.
L’hypermobilité
Les économies émergentes figurent parmi les principaux moteurs de cette croissance, mais un autre phénomène social a également fait son apparition dans les pays industrialisés: l’hypermobilité.
Initiée d’abord aux États-Unis à la fin des années septante, la dérégulation dans le transport aérien a favorisé l’émergence des compagnies low cost et, par voie de conséquence, a contribué à l’augmentation spectaculaire du nombre de voyageurs. Or, cette expansion n’est pas prête de s’essouffler puisque les deux grands constructeurs – Boeing et Airbus – tablent sur un doublement de la flotte mondiale d’ici à 2030.
Les instances politiques, mais également l’industrie, ont bien pris la mesure du défi consistant à concilier «réduction des émissions» et «croissance». Dans cette perspective, l’industrie (Iata) a développé une stratégie «carbone» reposant sur quatre piliers que sont les progrès technologiques, une meilleure gestion de l’espace aérien, les biocarburants et les outils du marché parmi lesquels le système d’échange des quotas (ETS).
Objectif affiché, une croissance neutre des émissions dans le transport aérien en 2020 et 50% de réduction en 2050 par rapport aux émissions de 2005. Or, de l’aveu même de l’Organisation de l’Aviation civile internationale, il ne sera pas possible de compenser la croissance prévue dans le transport aérien au cours des trente ans à venir.
Alors, soit on considère que le secteur du transport aérien, pour des raisons qu’il faudrait pouvoir justifier, ne doit pas poursuivre les mêmes objectifs de réduction que les autres secteurs industriels, soit il y a une contradiction interne dans notre stratégie de lutte contre le réchauffement climatique.Toute la question est de savoir comment rester cohérent avec les impératifs de réduction des émissions sans réguler le nombre de vols.
Le défi n’est pas technologique mais éthique
En réalité, toute la question est de savoir comment rester cohérent avec les impératifs de réduction des émissions, sous contrainte de l’urgence, sans faire appel à un cinquième pilier stratégique, celui de la demande, c’est-à-dire à réguler le nombre de vols.
Supposons que nous devions geler, voire réduire le nombre de vols pour respecter les objectifs de réduction de GES. Dans ce cas, l’expansion du secteur aérien dans les pays en voie de développement ne pourrait se faire que moyennant une diminution drastique du volume des vols dans les pays développés, ce qui serait évidemment préjudiciable pour le secteur aérien des pays concernés et par conséquent pour leur économie.
Mais si nous voulons préserver les intérêts économiques des pays développés, cela ne pourrait se faire qu’au détriment du développement de ceux qui, a priori, en auraient le plus besoin. Une telle hypothèse suppose la sectorisation du transport aérien et, inévitablement, l’établissement d’une clé de répartition équitable entre qui devra renoncer à voyager en avion, ou moins souvent, et qui pourra prétendre le faire?
C’est précisément là que le bât blesse, la stratégie mise en œuvre dans le secteur du transport aérien se fonde sur un réductionnisme méthodologique qui consiste à séparer efficacité économique et équité.Or, en l’absence d’une instance mondiale dotée d’un pouvoir coercitif et capable d’imposer des règles, c’est la possibilité même d’un accord de coopération mondial efficace qui est conditionnée par l’existence d’un fondement normatif acceptable par toutes les parties.
Et c’est là que réside le véritable défi, car à défaut de maîtriser la lutte contre le réchauffement climatique dans un secteur qui ne serait responsable que de trois petits pour cent des émissions de GES, comment espérer pouvoir le faire pour les nonante-sept autres?