La publication du troisième rapport intermédiaire du BEA (Bureau d'Enquête et d'Analyse) a suscité de nombreuses réactions d’indignation, notamment parmi les familles des victimes qui s’insurgent contre le rôle anecdotique attribué à la panne des sondes «pitots» destinées à donner la vitesse de l’avion. Pour le BEA, les enregistreurs de vol indiquent une erreur humaine: les pilotes n’auraient pas géré de manière adéquate une situation critique, causant ainsi la perte dramatique de l’Airbus A330 et de ses occupants.
C’est la faute aux pilotes...
Faisant la part belle à une description exhaustive des données fournies par les «boîtes noires», les conclusions du rapport démontrent l’incapacité des auteurs à dépasser l’horizon des faits symptomatiques qui ont constitué les dernières minutes du vol AF447. Les pilotes auraient perdu le contrôle de l’avion dans des conditions bien spécifiques, il faut, par conséquent, (ré)entraîner les pilotes à effectuer ce type de manœuvres dans un simulateur.
Voilà des conclusions qui ne déplairont pas dans certains milieux, mais elles suscitent également une méfiance légitime. Il faut, en effet, faire la distinction entre deux éléments hétérogènes dans la chaîne des événements qui ont conduit au crash de l’Airbus A330 : l’erreur de pilotage et la cause de cette situation de détresse, en l’occurrence le givrage inopiné des tubes pitots. Que l’on supprime un de ces deux événements et rien de dramatique ne se serait produit. Or, cette distinction est fondamentale car une erreur de pilotage concernerait la formation et l’entraînement périodique des pilotes alors que la défaillance des tubes pitots concerne la gestion du risque. C’est précisément ce dernier point qui suscite la méfiance des familles des victimes qui fustigent le BEA et mettent en doute sa neutralité.
Plus jamais ça !
Il est peu crédible qu’un entraînement complémentaire dans un simulateur de vol soit suffisant, voire même adéquat, pour anticiper la récurrence d’une telle catastrophe. Pourquoi? D’abord, parce qu’il est impossible d’entraîner les pilotes à toutes les situations possibles et imaginables. Ensuite parce que les pilotes n’ont pas «simplement» commis une erreur mais ont été victimes d’une perte de conscience situationnelle (loss of situation awareness), phénomène qui altère la capacité du pilote à comprendre ce qui se passe, et donc à réagir de manière adéquate.
Certes, l’Airbus A330 est un excellent avion mais il ne faut pas oublier qu’il reste un engin évoluant dans un environnement fondamentalement hostile et que la survie de ses occupants dépend de son intégrité structurelle. Ainsi l’avion n’est pas seulement un véhicule mais également une «cellule de survie». Les progrès technologiques, notamment l’assistance au vol par des ordinateurs, ont contribué à accroître la sécurité aérienne mais également à distiller, à tort, l’idée que le pilotage d’un avion moderne est accessible à tous au point de faire dire à Bernard Ziegler (un ancien patron d’Airbus) que «même sa concierge pourrait piloter un A320». Cela donne envie de faire la connaissance de cette concierge qui est capable de piloter un Airbus en vol manuel à 10.000 mètres d’altitude, entre les orages, dans un mode dégradé (alternate law) - c’est-à-dire sans protection automatique contre la perte de portance -, devenu plus instable suite au déplacement automatique du centre de gravité et dont les instruments, devenus fous, affichent une multitude d’alarmes mais donnent de fausses indications quant à des informations vitales pour rester dans l’enveloppe de vol.
Les solutions
Il existe bien une procédure d’urgence censée pallier une telle situation, mais la raison pour laquelle les pilotes n’ont pas réussi à l’appliquer risque bien de rester un mystère. Si l’erreur humaine semble être un fait établi, elle ne constitue pas pour autant une explication. Comment se fait-il que trois pilotes expérimentés ne soient pas parvenus à gérer une situation que d’aucuns supposent tellement évidente ? Une chose est certaine, même si les progrès technologiques rendent nos avions plus performants, plus fiables, plus faciles à piloter (lorsque tout fonctionne), force est de constater que nous ne pouvons pas (encore) nous passer de femmes et d’hommes compétents, bien entraînés, capable de faire face à des situations extrêmement complexes, telle que celle rencontrée par l’AF447.
Dans cette perspective, la recommandation du BEA de faire ou de refaire tel ou tel exercice dans un simulateur n’est qu’un ersatz destiné à donner bonne conscience alors qu’il s’agirait plutôt de revoir en profondeur la philosophie de la formation de pilote de ligne. Aujourd’hui, on forme des «pilotes-procéduriers» à qui on demande de suivre des recettes toutes faites alors qu’il s’agit, encore et toujours, de former des aviateurs qui, au-delà d’une maîtrise des sciences de l’air, sont entraînés à survivre dans un environnement complexe et hostile tel qu’il peut survenir à tout instant au cours d’un vol. Ce glissement, dont la dynamique est avant tout financière, nous a fait passer discrètement d’une gestion proactive du risque aérien vers un modèle probabiliste, celui des «risques collatéraux acceptables».
Un goût de trop peu
Difficile donc de voir, dans le rapport du BEA, autre chose qu’un anxiolytique destiné à faire croire à l’opinion publique, et surtout aux familles des futures victimes, que tout est mis en œuvre pour améliorer sans cesse la sécurité des vols.